Syriza, le pillage
et l’effondrement: Quand la « gauche dure » épouse les politiques de la droite
dure
(La Direction de l'O.C.F publie cet article avec un total accord sur ce que son auteur analyse).
La Grèce a fait les manchettes de la presse financière internationale durant
les cinq derniers mois, alors qu’un parti de gauche nouvellement élu,
« Syriza », s’oppose ostensiblement aux soi-disant « mesures
d’austérité » en confrontant la troïka (le Fonds monétaire international,
la Commission européenne et la Banque centrale européenne).
Dès le début, les dirigeants de Syriza, mené par Alexis Tsipras, ont adopté
plusieurs positions stratégiques aux conséquences fatales relativement à la
mise en oeuvre de leurs promesses électorales d’élever le niveau de vie, de
mettre fin à la vassalité envers la « troïka » et de se doter d’une
politique étrangère indépendante.
Nous allons procéder en décrivant les échecs systémiques initiaux de Syriza
et les concessions ultérieures érodant davantage le niveau de vie grec, tout en
accentuant le rôle de la Grèce comme collaborateur actif de l’impérialisme
étasunien et israélien.
Gagner les élections et céder le pouvoir
La gauche européenne et nord-américaine a célébré la victoire électorale de
Syriza comme une rupture avec les programmes d’austérité néolibérale et le
lancement d’une alternative radicale, laquelle mettrait en place des initiatives
populaires en faveur de changements sociaux fondamentaux. Ces initiatives
comprendraient des mesures pour créer des emplois, restaurer les pensions,
annuler les privatisations et réorganiser les priorités du gouvernement en
favorisant le paiement des salariés avant le remboursement des banques
étrangères. La « preuve » de l’existence du programme de réforme
radicale se trouvait dans le « Manifeste de Thessalonique », lequel,
promettait Syriza, serait le programme guidant ses nouveaux élus.
![]() |
Front de gauche, Syriza, P"c"F; les travailleurs n'ont que faire de ces collaborateurs. La 6ième république prônée par ces gens là ce n'est que le capitalisme, toujours le capitalisme ! |
Toutefois, avant d’avoir été élu et immédiatement après, les dirigeants de
Syriza ont pris trois décisions fondamentales empêchant toute modification
profonde. En effet, ces décisions ont établi un parcours réactionnaire.
En premier lieu, Syriza a accepté la dette extérieure de plus de
350 milliards de dollars comme légitime, bien qu’elle ait été approuvée
par les kleptocrates du gouvernement précédent, des banques corrompues et des
intérêts commerciaux, immobiliers et financiers. Pratiquement aucune partie de
cette dette n’a été utilisée pour financer des activités productives ou des
services cruciaux qui renforceraient l’économie et la future capacité de la
Grèce à rembourser les prêts.
Des centaines de milliards d’euros ont été planqués dans des comptes bancaires
et des biens immobiliers à l’étranger ou investis dans des actions et des
obligations à l’étranger. Après avoir d’abord affirmé la
« légitimité » de la dette illicite, Syriza a ensuite déclaré sa
« volonté » de payer cette dette. La « troïka » a immédiatement
compris que le nouveau gouvernement Syriza serait un otage volontaire se
soumettant à plus de coercition, de chantage et de paiements de la dette.
Deuxièmement, en lien avec ce qui précède, Syriza a déclaré sa détermination
à demeurer au sein de l’Union européenne et de la zone euro, renonçant ainsi à
sa souveraineté et à sa capacité d’élaborer une politique indépendante. Le
parti a exprimé sa volonté de se soumettre aux exigences de la troïka. Une fois
sous l’emprise de celle-ci, la seule politique de Syriza consisterait à
« négocier », « renégocier » et faire de nouvelles
concessions aux banques étrangères de l’UE dans un processus totalement
unilatéral. La soumission rapide de Syriza à la troïka était la deuxième
trahison stratégique de son programme électoral, mais pas la dernière.
Une fois que Syriza eut démontré à la troïka sa volonté de trahir son
programme populaire, cette dernière s’est montrée plus exigeante et plus
intransigeante. Bruxelles a considéré la rhétorique gauchiste de Syriza et ses
gestes théâtraux radicaux comme de la poudre aux yeux de l’électorat grec. Les
banquiers européens savaient que lorsqu’il serait temps de négocier de nouveaux
accords de prêt, les dirigeants de Syriza capituleraient. Pendant ce temps, la
gauche euro-étasunienne a complètement avalé la rhétorique radicale de Syriza
sans regarder ses pratiques.
Troisièmement, dès son entrée en fonction, Syriza a négocié une coalition
avec les Grecs indépendants, un parti d’extrême-droite, pro-OTAN, xénophobe et
anti-immigration, garantissant que la Grèce continuerait à soutenir les
politiques militaires de l’OTAN au Moyen-Orient, la campagne brutale de
l’Ukraine et Israël contre la Palestine.
Quatrièmement, la majeure partie du Cabinet nommée par le premier ministre
Tsipras n’avait aucune expérience dans la lutte des classes. Pire encore, la
plupart étaient des universitaires et d’anciens conseillers du PASOK, sans
aucune capacité ou volonté de rompre avec les diktats de la troïka. Leur
« pratique » académique était constituée en grande partie de
« combats » théoriques mal adaptés à de réelles confrontations avec
des puissances impériales agressives.
De l’égratignure à la gangrène
En capitulant devant l’UE dès le début, en acceptant, entre autres, de payer
la dette illégitime, en s’alliant à l’extrême droite et en se soumettant aux
diktats de la troïka, la table était mise pour que SYRIZA trahisse toutes ses
promesses et alourdisse le fardeau économique de ses partisans. Les pires
trahisons comprennent : (1) ne pas avoir rétabli le paiement des pensions
(2) ne pas avoir réinstauré le salaire minimum; (3) ne pas avoir annulé les
privatisations; (4) ne pas avoir mis fin aux programmes d’austérité; et (5) ne
pas avoir augmenté les fonds pour l’éducation, la santé, le logement et le
développement local.
La troïka et ses publicistes de la presse financière exigent que Syriza
fasse davantage de compression dans le régime de retraite grec, appauvrissant
ainsi plus de 1,5 million de travailleurs retraités. Contrairement aux
« exemples » bidons des médias sur les pensions généreuses dont
jouissent moins de 5 % des retraités, les Grecs ont subi les plus
importantes réductions de fonds de retraite en Europe au cours du dernier
siècle. La troïka a réduit les pensions grecques huit fois au cours des quatre
dernières années seulement. La grande majorité des pensions ont été réduites de
près de 50 % depuis 2010. La pension moyenne est de 700 euros par mois,
mais 45% des retraités grecs reçoivent moins de 665 euros par mois, un revenu
se situant sous le seuil de pauvreté. Toutefois, la troïka exige des réductions
encore plus importantes.
Celles-ci comprennent la fin des subventions budgétaires pour les retraités
vivant dans l’extrême pauvreté, une augmentation de l’âge de la retraite à 67
ans, l’abolition des dispositions des plans de retraite liées aux travaux
dangereux et favorisant les mères au travail. Les mesures régressives
antérieures, imposées par la Troïka et mises en oeuvre par le régime de
coalition d’extrême droite précédent, ont sérieusement épuisé la caisse de
retraite grecque. En 2012, le programme de « restructuration de la
dette » de la troïka a mené à la perte de 25 milliards d’euros en réserves
détenues par le gouvernement grec dans des obligations gouvernementales.
Les politiques d’austérité de la troïka ont veillé à ce que les réserves de
la caisse de retraite ne soient pas renouvelées. Les contributions ont chuté
lorsque le chômage a grimpé à près de 30 % (Financial Times, 05-06-15,
p4). Malgré l’assaut frontal de la troïka sur le régime de retraite grec,
l’« équipe économique » de Syriza a exprimé sa volonté d’augmenter
l’âge de la retraite, de réduire les pensions de 5 % et de négocier pour
trahir à nouveau les retraités qui font face à la misère. Syriza a non
seulement manqué à sa promesse de campagne consistant à annuler les politiques
régressives précédentes, mais s’est aussi engagé dans ses propres traîtrises
« pragmatiques » avec la troïka.
Pire encore, Syriza a intensifié les politiques de ses prédécesseurs
réactionnaires. Syriza (1) a promis de geler les privatisations, mais le parti
s’engage maintenant à les accroître de 3,2 milliards d’euros et de privatiser
d’autres secteurs publics; (2) a accepté de transférer des ressources publiques
limitées à l’armée, dont un investissement de 500 millions d’euros pour
mettre à jour l’Armée de l’Air grecque; (3) a pillé la caisse nationale de
retraite et les trésoreries municipales pour plus d’un milliard d’euros afin de
payer la dette à la troïka; (4) a réduit les investissements publics pour la
création d’emplois dans des projets d’infrastructure afin de respecter les
délais de la troïka; (5) a accepté un excédent budgétaire de 0,6 % au
moment où la Grèce a un déficit de 0,7 % cette année, ce qui signifie
davantage de réductions plus tard cette année; (6) a promis de réduire la TVA
sur les éléments essentiels comme la nourriture, mais accepte aujourd’hui un
taux de taxation de 23 %.
![]() |
P. Kammenos, un agent de l'OTAN. Toujours très proche des militaires grecs. Un recours quand le peuple grec basculera dans la révolte. |
La politique étrangère de Syriza imite celle de ses prédécesseurs. Le
ministre de la Défense de Syriza, Panos Kammenos, issu de l’extrême droite,
était un fervent partisan des sanctions étasuniennes et
européennes contre la
Russie. Malgré la vague habituelle de fausse « dissidence » face aux
politiques de l’OTAN, Syriza a totalement capitulé par la suite, afin de
maintenir une bonne réputation au sein de l’OTAN. Le régime de Syriza a permis
à tous les kleptocrates et fraudeurs fiscaux bien connus de conserver leur
richesse illicite et d’augmenter leurs avoirs à l’étranger grâce au transfert
massif de leurs «économies » à l’extérieur du pays. À la fin mai 2015, le
Premier ministre et le ministre des Finances, Tsipras Varofakis, ont vidé le
trésor public pour effectuer des paiements sur la dette, augmentant ainsi les
perspectives que les retraités et les travailleurs du secteur public ne
reçoivent pas leurs prestations.
Après avoir vidé le Trésor grec, Syriza va
maintenant imposer la « solution de la troïka » à la masse grecque
appauvrie : ou vous acceptez un nouveau plan d’« austérité »,
réduisant les pensions, augmentant l’âge de la retraite, éliminant les lois du
travail protégeant la sécurité d’emploi et les droits de négociation des
travailleurs ou les caisses de l’État seront vides, vous n’aurez pas de
pensions, le chômage augmentera et la crise économique s’aggravera. Syriza
a délibérément vidé le trésor public, pillé les fonds de pension et les fonds
municipaux pour faire du chantage à la population et la pousser à accepter
comme un « fait accompli » les politiques régressives de banquiers
intransigeants de l’UE, les soi-disant « programmes d’austérité ».
Dès le tout début, Syriza s’est plié aux diktats de la troïka, même
lorsqu’il simulait leur « résistance de principe ». Ils ont d’abord
menti à l’opinion publique grecque, qualifiant la troïka de « partenaires
internationaux ». Ensuite, ils ont menti à nouveau en qualifiant le
mémorandum de la troïka pour une plus grande austérité de « document de
négociation ». Les tromperies de Syriza étaient destinées à dissimuler le
fait qu’il maintenait le « cadre » très impopulaire imposé par le
précédent régime discrédité de la droite dure.
Alors qu’il pillait les ressources du pays pour payer les banquiers, Syriza
s’est davantage soumis aux puissances étrangères. Son ministre de la Défense a
offert de nouvelles bases militaires pour l’OTAN, dont une base
aérienne-maritime sur l’île grecque de Karpathos. Le parti a accru l’appui
politique et militaire de la Grèce à l’intervention militaire des États-Unis et
de l’UE au Moyen-Orient, ainsi que son soutien aux « terroriste
modérés », invoquant le prétexte ridicule de « protéger les
chrétiens ». Syriza, s’attirant les bonne grâces des sionistes européens
et étasuniens, a renforcé ses liens avec Israël, évoquant une « alliance
stratégique » avec l’État terroriste pratiquant l’apartheid. Dès les
premiers jours de son mandat, Kammenos, le ministre de la Défense de la droite
dure, a proposé la création d’un « espace de défense commun »
incluant Chypre et Israël, appuyant ainsi le blocus aérien et maritime de Gaza
par l’État hébreu.
Conclusion
La décision politique de Syriza d’« intégrer » à tout prix l’UE et
la zone euro, signale que la Grèce continuera d’être un État vassal, trahissant
son programme et adoptant des politiques profondément réactionnaires, tout en
claironnant sa fausse rhétorique gauchiste et en feignant de
« résister » à la troïka. Bien que Syriza ait pillé la caisse de
retraite nationale et les trésoreries locales, de nombreux gauchistes égarés en
Europe et aux États-Unis continuent d’accepter et de rationaliser les décisions
du parti qu’ils choisissent de qualifier de « compromis réalistes et
pragmatiques ».
Syriza aurait pu confisquer et utiliser 32 milliards de dollars
d’actifs immobiliers détenus par les Forces armées grecques afin de mettre en
oeuvre un plan d’investissement et de développement différent, soit louer ces
propriétés à des ports maritimes commerciaux, des aéroports et des
installations touristiques.
Syriza a enfoncé la Grèce encore plus profondément dans la hiérarchie
dominée par la finance allemande en abandonnant son pouvoir souverain d’imposer
un moratoire sur la dette, de quitter la zone euro, gérer les ressources
financières, rétablir une monnaie nationale, d’imposer des contrôles de
capitaux, de confisquer des milliards d’euros dans les comptes illicites à
l’étranger, mobiliser des fonds locaux pour financer la reprise économique et
réactiver le secteur public et privé. À plusieurs reprises, le faux
« secteur gauche » au sein de Syriza a formulé d’impuissantes
« objections », pendant que la mascarade Tsipras -Varofakis procédait
à la capitulation ultime.
En fin de compte, Syriza a aggravé la pauvreté et le chômage, augmenté le
contrôle étranger sur l’économie, érodé davantage le secteur public, facilité
le licenciement des travailleurs et réduit les indemnités de départ, tout en
augmentant le rôle de l’armée grecque en resserrant ses liens avec l’OTAN et
Israël.
Autre fait tout aussi important, Syriza a totalement vidé la phraséologie
gauchiste de toute signification cognitive : pour ses membres, la
souveraineté nationale se traduit par la vassalité aux puissances étrangères,
et l’anti-austérité consiste à capituler de façon pragmatique devant une
nouvelle forme d’austérité.
Lorsque l’accord Tsipras-troïka sera finalement
signé et que l’opinion publique grecque prendra conscience des ravages que fera
l’austérité dans les prochaines décennies, nous espérons que les trahisons
susciteront une répulsion massive. Peut-être qu Syriza se divisera et que la
« gauche » abandonnera enfin ses postes ministériels tranquilles pour
aller rejoindre les millions de mécontents afin de former un autre parti.
James Petras
Article original en anglais: Syriza:
Plunder, Pillage and Prostration: How the ‘Hard Left’ Embraces the Policies of
the Hard Right, publié le 15 juin 2015.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Les rédacteurs de ce blog ne traiteront que les adresses mails valides.
Les messages sont modérés.